Cousu de fil rouge

De même que ces artistes d’avant-garde ou explorateurs des temps modernes, soucieux d’investir de nouveaux horizons, de nouveaux espaces, loin du « Centre » et du fracas de la civilisation contemporaine, Cyril Barrand fonde son travail sur le désir d’opérer au-delà des frontières traditionnelles, qu’elles soient plastiques, esthétiques, historiques, géographiques ou culturelles... Une volonté de rencontres, d’échanges, une recherche transdisciplinaire prônant une ouverture sur la pluralité des mondes, un regard sur la redéfinition des rapports humains, de la relation avec « l’autre », invoquant, comme le définit l’artiste lui-même, une « esthétique de la liaison ». Une nouvelle dimension ou une autre lecture trouvant dans l’accumulation, la combinaison et l’assemblage un support plastique substantiel.

Ancien étudiant de l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg (1987-1992) devenu artiste globe-trotteur (exposition itinérante d’artistes chypriotes et français en 2001 ; séjours au Portugal en 1995 et en Pologne en 2002...), Cyril Barrand développe, dans son travail, une « pratique de liaison » interrogeant les contrastes d’une société (polonaise) partagée entre son passé et son avenir, ses traditions et son désir de modernité. Une pratique nourrie de mythologies, de légendes mais aussi d’éléments relevant du quotidien comme peuvent en témoigner un grand nombre d’oeuvres tels que Cousu de fil rouge : c’est un ensemble de 9 oeuvres (2006-2007), Może Być, Być Może (2006), Boule de Neige souvenir du Palais de la culture et des sciences à Varsovie (2004) ou Éplucher (2006-2007)... Des travaux dans lesquels l’artiste y juxtapose et assemble une multitude de formes, de matières, d’objets, et de motifs traditionnels ou populaires (tels que les danseurs des étiquettes de bière Żywiec, un savon Wars des compagnies de chemins de fer polonais, le palais de la culture de Varsovie...) faisant référence au quotidien, à la vie rurale, au rôle social de la femme, ou à l’histoire...

L’Histoire. Celle du « pays du nulle part », d’une nation développant, au gré des lignes et des hymnes d’une histoire ne cessant de défier les sentiments d’un peuple envers son pays, une détermination sans faille. Une volonté que l’on retrouve à maintes reprises dans le travail de Cyril Barrand, à l’image de ce fil rouge dans Cousu de fil rouge, faisant et défaisant sans cesse les lignes d’une terre déchirée par les morsures d’une histoire et d’une géographie sans concession.

Hybride, intime, poétique, l’univers de Cyril Barrand nous entraîne, dans chacune de ses formes et de ses couleurs, à la découverte d’une couture, d’une « géographie du plastique ». Une géographie n’hésitant pas à jouer des lignes comme du phrasé, de la méditation comme de la dérision, du sérieux comme de l’absurde... On peut penser ici à ses intitulés tels que Un ange pisse, un nain passe (2003), Puzzle (2004), L’homme descend du songe (2005), Vue d’Étrangeté en soi (2005), Éplucher (2006-2007), Méduse (2006-2007), L’heure est d’aller de l’avant (2007)... Une « géographie du plastique » qui n’est pas sans nous rappeler, à cet égard, l’esprit et l’univers, à la fois lucides et décalés, de « Géants » de la littérature, du cinéma et des arts polonais comme Witold Gombrowicz, Andrzej Wajda, Tadeusz Kantor ou Władyslaw Hasior.

Voyailleurs, le travail de Barrand tente d’élargir, avec simplicité, la vision, pour donner à voir et à penser le « hors-champ ». Une oeuvre faisant figure de « passeur », de trait d’union, servant d’intermédiaire entre deux mondes, deux cultures, deux arts... Une oeuvre « en rupture » et « en dehors de » avec ce qui est dit, fait de passages, nous invitant à repenser notre histoire, notre situation dans le monde.
Fonctionnant selon un mécanisme bipolaire entre rencontre (rencontre avec l’arsenal de l’énumération ou de la successivité des données ; avec la réalité des choses ; rencontre avec des anonymes…) et quête (quête d’une histoire, d’une mémoire, d’une identité), l’artiste présente, en cette époque de globalisation et d’homogénéisation, un art singulier, nourri et pénétré à la fois par une constellation de questionnements et de M.O.T.S / maux d’une société repliée sur elle-même. Un art ne reculant pas devant le négatif, prenant la mesure du scandale - celui d’être différent, d’être « l’Autre »... Une approche sensible de l’altérité, un art réversible où se joue l’illimité de la pensée parce qu’il a définitivement lâché l’assurance hautaine du Tout et de l’Un.

Olivier Vargin, Critique d’art, janvier 2008
Catalogue de l’exposition Cousu de fil rouge

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