Accumulation d’ici et d’ailleurs
Cyril Barrand est régulièrement accueilli en Alsace comme l'enfant du pays. Ancien étudiant de l'École des Arts Décoratifs de Strasbourg entre 1987 et 1992, l'artiste a fait depuis un long chemin... Un chemin qui traverse l'Europe entière le menant sans cesse de la France à la Pologne, deux pays où il vit et travaille. Deux horizons singuliers qui constituent pour lui un épais recueil d'images. Une source d'inspiration inépuisable que l'artiste utilise comme un liant dans son travail, toujours avec le souci de juxtaposition et d'assemblage. Un penchant présent dès les années 90, début d'une période active de création pour ce jeune homme alors tout juste diplômé en peinture par l'ESAD.
Et dès les premières années, Cyril Barrand va osciller entre peinture, sculpture, vidéo et mise en espace de son travail. La problématique de l'accumulation, de la combinaison, de l'assemblage ne se limitant pas chez lui à un médium unique. Ses séries de sculptures à l'esprit hybride marquent une volonté de s'inspirer de tout : chambre à air, verre, métal, bois, caoutchouc, boutons,... Un assemblage de matières qui constitue un intéressant vocabulaire de base à une création tout à fait personnelle.
Dans ses peintures, à l'huile ou à l'acrylique, plus souvent exposées ici et là, Cyril Barrand accumule symboles et motifs sur des toiles où il ne s'interdit pas d'y laisser parfois les empreintes de son crayon, témoin du travail minutieux en train de se faire et de se décider.
Car que le spectateur ne s'y trompe pas. Ici assemblage n'est jamais synonyme de bricolage. Cyril Barrand s'attache ardemment à travers ce principe à toujours donner une nouvelle dimension aux objets, matières ou motifs qu'il utilise dans ce qu'il appelle l'« esthétique de la liaison ». Une nouvelle dimension ou une autre lecture qui peut être soit sérieuse, grave, poétique ou empreinte d'un humour toujours à propos. Le plus souvent l'humour ironique que peut porter sur nous notre voisin. Car plus qu'un artiste, Cyril Barrand est un globe-trotter attentif et fin observateur : en 1995, il séjourne au Portugal, en 2001, il prend part à une exposition itinérante d'artistes chypriotes et français sur l'invitation de l'association Apollonia, en 2002, il part à Lublin en Pologne pour la sauvegarde du Vieux Théâtre à l'invitation de la Fondacja Galeria Na Prowincji -un travail qui a donné lieu à une exposition à Rueil Malmaison au Château de la Petite Malmaison-, en 2004, il participe à l'exposition de POLART Ici la Pologne ! où il partage le carton d'invitation avec un artiste italien, un polonais, une allemande. Aujourd'hui, il est de retour à Strasbourg pour une exposition d'artistes français et turques à l'espace Apollonia, Étrangeté en soi.
Cette connaissance de l'autre, même entrevue, lui permet de jouer avec les habitudes, les traditions, les images ou les mots. Un humour relayé par les titres qui participent à la lecture de l'œuvre et à l'histoire qui se raconte : Rapiécer, Un ange pisse, un nain passe, Boule de neige souvenir du Palais de la Culture et des Sciences à Varsovie, L'homme descend du songe...
Mais l'humour n'efface jamais la conscience de ce qui se cache derrière un mot, une expression ou une croyance. Ainsi, à l'occasion de la Saison Polonaise et l'exposition Ici la Pologne !, Cyril Barrand présente à Strasbourg une peinture - M.O.T.S et une vidéo Voyailleurs qui font références aux pires moments de l'histoire européenne commune : la déportation et les camps de concentration.
Au-delà de la juxtaposition et la combinaison, Cyril Barrand arrive à nous faire percevoir l'essentiel. C'est sans doute un début de définition au mot talent ?...
Nadège MOREAU, juin 2005
Regioart magazine
Cyril Barrand